Chroniques

par bertrand bolognesi

Guillaume Tell
opéra d’André Grétry

Opéra Royal de Wallonie, Liège
- 11 juin 2013
à Liège, l'Opéra Royal de Wallonie fait redécouvrir Guillaume Tell de Grétry
© jacques croisier

Créé en 1791 à la Comédie Italienne (Paris), le « drame mis en musique » d’André Grétry n’aura guère connu de véritable postérité. À parler bicentenaires, encore faut-il préciser 1813 pour autre date que les naissances, à cinq mois d’intervalle, de Wagner et de Verdi : à la fin de septembre mourait le Liégeois alors tant fameux à Paris. Oublions donc le livret de Bis et Jouy inspiré par la pièce de Schiller (Wilhelm Tell, 1804) et mis en musique par Rossini en 1829 pour ce Guillaume Tell dont le verbe, signé du très prolifique Sedaine – librettiste de Richard Cœur-de-Lion huit ans plus tôt – emprunte au poète Lemierre (1768), est transcendé par la partition de Grétry. Et si la rareté des ouvrages de ce compositeur sur la scène d’aujourd’hui appuie déjà le caractère d’événement que prennent ces quelques cinq représentations coproduites par le Palazzetto Bru Zane (caractère qui n’échappe pas à une diffusion bientôt disponible sur Arte Live Web et retransmise à l’issue de l’été par Arte Télévision), le fait qu’il s’agisse d’une création en Belgique l’affermit d’autant.

Pour cette résurrection, Stefano Mazzonis di Pralafera, actuel « patron » de l’Opéra Royal de Wallonie, a choisi une fraîche mise à distance, judicieuse et paradoxale : l’usage de toiles et d’une machinerie à l’ancienne rendue apparente rapproche d’emblée le public d’un temps qui n’est plus le sien par le sain émerveillement enfantin qu’il suscite. Une fausse naïveté de bon aloi investit le plateau, devant des Alpes peintes, à travers l’envahissement progressif des « reliefs » (talus, rochers, citadelles, et même cor alpin, chalet fermier et vaches paissant ou à traire). Encore un gentil toutou contamine-t-il l’équipée d’une égale bonne humeur. Les dialogues (à peine abrégés, mais salutairement) sont déclamés d’un sel baroquisant, parfois semi-chanté, qui ne laisse pas de surprendre sans viser aucunement quelque reconstitution historique que ce soit.

Le timbre chaleureux de Roger Joaquim campe idéalement un Voyageur attachant, de même Patrick Delcour, honorable Melktal dont le fils bientôt just married arbore un précieux ténor clair, cependant peu compréhensible. Le Fils de Guillaume Tell bénéficie du chant sensible de Natacha Kowalski, tandis que Liesbeth Devos soigne une ligne un rien « vieux style » à sa Marie. D’un instrument très impacté, Lionel Lhote livre d’autorité un Gessler facile dont il faut saluer l’excellente diction, partagée par l’opulente vocalité qu’Anne-Catherine Gillet offre à Madame Tell et par le muscle indiscutable qui conduit l’incarnation du rôle-titre par Marc Laho – autant de voix qui servent fidèlement une œuvre qu’on prend plaisir à entendre comme à voir.

Après un prélude de facture plutôt classique qui révèle un Orchestrede l’Opéra Royal de Wallonie élégant dont maestro Claudio Scimone cisèle les timbres sans anémier jamais la pâte sonore, nous abordons une écriture parfois mafflue, plus proche d’Andromaque [lire notre chronique du 13 juillet 2010] que de Pierre le Grand ou Zémir et Azor [lire notre critique du DVD et notre chronique du 18 mars 2010]. Le ton s’affirme de plus en plus ferme, au fil que se déploie la veine révolutionnaire. Car il s’agit bien de cela : un vent de révolte souffle face à un tyran qui lui-même piétine les conditions qu’il impose en brossant un rapide procès d’intention, perdant ainsi tout crédit, si tant est qu’il en ait encore à ce moment de son règne. « Nous vivons et nous souffrons de telles ignominies », gronde un Chœur vaillant, les femmes stimulant les fils et les pères dans leur désaveux de leur docilité inacceptable. Et « courrons tous nous venger ! » de faire sens. À sa manière l’élan particulier de la partition annonce Beethoven.

Installant progressivement l’argument qu’elle interrompt au milieu du deuxième acte – quel imparable sens du suspens ! –, la mise en scène précipite l’action dans la seconde partie, avec ses rouages qu’on actionne de main d’homme et de visu, comme les fils et manivelles d’un passionnant combat de marionnettes conclu dans l’incendie du château. Comme au Guignol la liesse est communicative à voir puni le méchant, ici de solide manière, puisque le gouverneur réapparaît avec une flèche dans le cœur – il est rare qu’au théâtre les bons ne pardonnent pas, mais passées les Lumières la Terreur point.

Outre la diffusion préalablement annoncée, Guillaume Tell fera l’objet d’un coffret CD et d’un DVD (Dynamic).

BB